Petit chantage !
Hugo Marchant n’aimait pas qu’on le regarde dans les yeux.
Ce n’était pas une question de timidité — au contraire. À quarante-cinq ans, patron d’une entreprise de conseil florissante, il imposait le respect rien qu’en entrant dans une pièce. Costume sur mesure, mâchoire crispée, langage chirurgical. Les employés baissaient les yeux. Les partenaires signaient. Et les secrétaires se succédaient, intimidées ou lassées par son ton tranchant.
Jusqu’à Maïa.
Dès le premier jour, elle l’avait regardé droit dans les yeux. Ses escarpins rouge sang avaient claqué sur le parquet du bureau comme une déclaration de guerre. Hugo avait levé un sourcil, noté mentalement de la recadrer… mais n’avait rien dit.
Elle était restée.
Maïa avait ce genre de présence qui fait grincer les certitudes. Une jupe trop courte pour les normes de l’entreprise. Une façon de croiser les jambes qui ralentissait le temps. Elle savait, sans jamais transgresser frontalement, prendre la place qu’on ne lui donnait pas.
Et surtout, elle observait. En silence.
Elle avait vu Hugo se crisper lorsqu’elle effleurait sa cravate en lui tendant un dossier. Elle avait perçu ses pupilles se dilater lorsqu’elle parlait d’un ton ferme au téléphone. Et puis, un jour, elle l’avait suivi.
Le vendredi soir, elle l’avait vu entrer dans ce club discret du 17e. Un lieu privé, réservé aux initiés, où les rôles se renversent et les masques tombent. Derrière les voilages noirs, elle avait aperçu, à travers les reflets du miroir sans tain, un homme en bas résilles, perruque blonde et corset rose bonbon.
Il ne ressemblait plus du tout à Monsieur Marchand.
Elle avait pris des photos. Rien de méchant. Un simple dossier… pour équilibrer les forces.
Le lundi suivant, elle avait déposé l’enveloppe sur son bureau. Il avait pâli en l’ouvrant. Son regard avait aussitôt glissé vers la porte, puis vers elle. Elle lui souriait, tranquillement, comme si elle lui proposait un café.
— Je ne suis pas là pour détruire votre réputation, Hugo. Je veux juste… jouer un peu.
Le tutoiement l’avait frappé comme une gifle.
Et ce soir-là, il s’était rendu dans son bureau à elle. Pas le grand open space vitré, non. Un petit local annexe qu’elle avait décoré à sa manière. Tentures sombres, fauteuil club, odeur de cuir et de vanille.
— À genoux.
Il avait obéi.
Depuis, chaque vendredi, le patron redevenait poupée. Maïa le transformait minutieusement. Elle sortait les bas, le serre-taille, les talons vertigineux qu’il peinait à porter. Elle le maquillait elle-même, appliquant le rouge à lèvres lentement, humiliant.
— Tu vas me faire un rapport complet, Cécilia, susurrait-elle. Sur ton comportement de la semaine. Et je veux les fautes. Toutes.
Il baissait les yeux, la voix tremblante :
— J’ai coupé la parole à un employé lundi… J’ai levé la voix sur un stagiaire…
Elle hochait la tête, impitoyable.
— Tu sais ce que ça mérite ?
Il opinait, rouge de honte. Elle le faisait se pencher sur le bureau. Parfois, elle utilisait la règle en bois, comme une institutrice sadique. D’autres fois, elle ne disait rien : elle se contentait de le faire marcher, en talons, autour de la pièce, jusqu’à ce qu’il chancelle.
— Redresse-toi. Plus droite, la petite traînée. Tu veux être jolie, non ?
Il gémissait.
Le pire, c’était qu’il adorait ça.
Dans ce renversement obscène des rôles, il trouvait un exutoire. Lui, le dominateur froid et distant, se fondait dans la chaleur soumise d’un jeu interdit. Et elle… elle rayonnait. Impériale, impitoyable, souveraine.
— Tu veux que je te prenne en photo, Cécilia ? Pour le souvenir ? Pour ton dossier personnel ?
Il n’osait pas répondre. Mais son excitation trahissait tout.
Elle avait fini par créer un petit carnet, soigneusement dissimulé, avec des polaroïds de lui dans toutes les positions. Une photo par vendredi. Il y avait la « Cécilia secrétaire », perruque auburn et lunettes rondes. La « Cécilia soubrette », plumeau à la main et fessier rouge. Et même la « Cécilia catin », déshabillée sous un manteau de fourrure.
Maïa le collectionnait.
Le vendredi suivant, elle avait innové.
Elle s’était assise sur son fauteuil, jambes écartées, et lui avait ordonné de ramper jusqu’à elle.
— Tu vas m’adorer, Hugo. Comme tu n’as jamais adoré personne. Tu vas lécher mes talons, puis mes cuisses. Et tu vas me supplier de te laisser jouir.
Il avait hoché la tête, les joues écarlates, les lèvres peintes de rose, déjà humides de désir.
— Dis-le.
— S’il te plaît, Maîtresse… Je veux jouir. Je veux être ta petite pute.
Elle avait ri. Un rire pur, triomphal.
Et elle lui avait murmuré, en lui glissant un doigt sous le menton :
— Alors tu devras mériter ton orgasme, ma chérie. Parce que dans ce bureau, c’est moi qui décide quand tu respires.