L’été sera chaud… surtout des orteils
Jules avait une passion bien singulière, un fétichisme assumé et raffiné : il aimait les pieds. Mais pas n’importe quels pieds. Des pieds soignés, vernis, doux comme des pêches, et surtout… libérés. L’été, pour lui, c’était comme Noël pour un enfant hyperactif : partout des pieds nus, des sandales glissées à moitié, des talons qui claquent, des chevilles qui se balancent. Un défilé érotique à ciel ouvert.
Et chaque été, il ressortait son attirail d’esthète : lunettes de soleil pour mater sans être vu, carnet pour dessiner, gel hydroalcoolique pour les mains (au cas où il toucherait, un jour). Sa planque préférée ? Le Café Azur, terrasse plein sud, vue imprenable sur les mollets en goguette.
Ce jour-là, il était en pleine contemplation d’une serveuse en espadrilles ficelées jusqu’aux genoux, concentré comme un botaniste devant une orchidée rare, quand une voix rauque l’interrompit :
— Tu préfères les arches hautes ou les coussinets bien bombés ?
Il leva les yeux et vit… elle.
Lila. Une tornade brune en robe dos-nu, sandales dorées à brides fines, vernis rouge feu sur les orteils. Des pieds sculptés par les dieux, manifestement pour provoquer des troubles de l’ordre public. Elle croisa les jambes, et son talon pendit doucement dans le vide. Jules déglutit.
— J’ai remarqué que tu zieutais mes orteils depuis trois jours. Tu veux les goûter ou juste les dessiner, poète ?
Jules balbutia. Lila, elle, souriait comme une prédatrice qui vient de coincer une proie consentante. Elle glissa un petit papier dans sa main.
« Appartement 4C. Ce soir. Apporte tes doigts. »
Ce soir-là, Jules arriva en sueur, un flacon d’huile de massage dans la poche, et des pensées qui batifolaient entre luxure et panique. Elle ouvrit en nuisette. Rose pâle. Aérienne. Presque immorale.
— Tu veux commencer par le pied gauche ou le droit ? lui murmura-t-elle.
Il ne répondit pas. Il se mit à genoux.
Ses mains tremblaient légèrement quand il ôta la dernière bride de sa sandale. Il découvrit un pied si parfait qu’il aurait pu écrire un haïku rien que sur le creux entre le gros orteil et le suivant. Il y posa les lèvres. Lila soupira. Puis rit doucement.
— Continue comme ça, et tu vas me faire grimper aux rideaux rien qu’avec la langue.
Jules ne demanda pas son reste. Il l’explora comme un cartographe obsédé. Chaque orteil y passa : un baiser, une succion, un petit coup de langue bien placé. Il finit par y glisser son nez, inspirant l’odeur légère de crème à la noix de coco et de péché mignon.
— Maintenant les mollets, ordonna-t-elle, la voix rauque, les joues roses.
Il s’exécuta, remontant lentement, très lentement, comme un pèlerin vers la lumière.
— Tu veux voir ce que je cache au-dessus du genou ?
La question était rhétorique. Elle écarta les jambes avec une nonchalance scandaleuse. Et lui, toujours à genoux, se sentit béni.
Le reste de la nuit fut un festival de jeux interdits : huile chaude, orteils dans la bouche, jambes croisées autour de son cou, rires étouffés et gémissements sonores. Il découvrit qu’on pouvait faire des choses très créatives avec une corde de sandale et un spray rafraîchissant à la menthe.
— J’espère que t’as pris des notes, artiste, lui glissa-t-elle entre deux soupirs.
— J’ai mieux, répondit-il. Un souvenir gravé dans le cuir de ma langue.
Au petit matin, il se réveilla avec ses doigts entremêlés dans ses pieds. Elle dormait encore, les jambes écartées, ses talons sur ses épaules. Il n’avait jamais été aussi heureux d’être une carpette.
Ils passèrent l’été à explorer toutes les déclinaisons de leurs fantasmes. Plage, balcons, cabines d’essayage, fontaines publiques (de nuit, hein, ils avaient un minimum de décence). Elle avait même osé lui dire :
— Tu sais Jules, avec toi, mes pieds ont plus d’orgasmes que mon ex avec son sextoy connecté.
Jules rayonnait. Il était le Mozart du massage plantaire, le Picasso de la voûte, le Casanova du coussinet.
Un jour, elle lui offrit une boîte.
— C’est pour l’hiver.
Dedans : dix paires de chaussettes en cachemire, toutes avec des trous bien placés. Pour “laisser respirer l’orteil”.
Il la regarda. Elle lui fit un clin d’œil.
— Qui a dit que les fétichistes devaient hiberner ?